JOSETTE VILLENEUVE

Audrey Labrie, 2015.

Diplômée de la maîtrise en histoire de l’art de l’UQAM et chargée de projet à la coordination artistique de l’Atelier Silex

« …je réclame de vivre pleinement la contradiction de mon temps, qui peut faire d’un sarcasme la condition de la vérité. » (Roland Barthes, 1957, p. 10)

Préalablement à son exposition à la Galerie d’art d’Outremont, Josette Villeneuve a pris part à une recherche exploratoire dans l’Espace 0…3/4 de l’Atelier Silex, résidence suivie d’une présentation devant public. La rigueur artistique du geste de Josette Villeneuve se repère à travers le jeu des contradictions visuelles présent au cœur des œuvres. Par l’accumulation de blocs et d’étiquettes de vêtements, l’artiste arrive à mettre en valeur les paradoxes du monde actuel et à établir des liens entre les matériaux et les thèmes exploités.

Tranquillement, Villeneuve a fait prendre différentes formes à ces centaines de blocs de couleurs et a exploité la dualité horizontale/verticale. Positionnant ceux-ci côte à côte en aplat, elle fait émerger la forme d’un continent, un continent de plastique. Au centre de cette étendue, l’artiste investit l’espace vertical en y érigeant ce qui pourrait ressembler à des immeubles. L’exploitation du plancher de la galerie positionne le regard du spectateur au-dessus de l’installation.

De prime abord, cette production artistique évoque l’enfance, la liberté complète du geste, l’abandon total dans le jeu… Mais contrairement au bambin qui s’élancerait vers l’œuvre pour y jouer, l’adulte réprime d’instinct cette envie, sublimée par sa contemplation. Détournés de leur public/consommateur cible, les blocs jouets deviennent le matériau premier de l’artiste et dénotent ainsi une réflexion sur les loisirs et le divertissement, associés à la ville. Les mégapoles représentent, comme la société de spectacle théorisée par Guy Debord, l’illusion d’une vie moderne aboutie. Aujourd’hui, les nombreux rassemblements festifs urbains génèrent des lots de déchets parmi lesquels la matière plastique demeure omniprésente. L’utilisation d’objets jetables au quotidien engendre une accumulation d’ordures telle, que le vortex de résidus plastiques découvert au large de l’océan pacifique en 1997 a aujourd’hui atteint la grandeur de l’Europe centrale; on l’appelle le sixième continent. Il va sans dire que ce dépotoir océanique brouille les écosystèmes. L’œuvre de Villeneuve incarne cette contradiction produite par l’humain, une attirante ville de plastique trônant sur un fragile continent de plastique, et prend tout son sens dans les oppositions nature-culture et raison-passion.

Une seconde dualité est mise de l’avant par Villeneuve, soit la séparation des couleurs en tonalités chaudes et froides traduisant la propension naturelle des humains à se regrouper selon leur culture, leurs croyances; à vouloir se différencier, se distinguer dans ces grandes villes. En dialogue avec la première œuvre, l’artiste déploie sur un des murs de la galerie sa mappemonde monumentale intitulée Un monde à raccommoder. Villeneuve explique que celle-ci est«composée de milliers d’étiquettes de vêtements triées par couleurs puis judicieusement épinglées sur un grand tissu pour recomposer un monde décousu, bigarré». Toujours selon l’artiste, «cet assemblage de petites pièces aux made in tous azimuts reconfigure ainsi les limites géopolitiques de notre société en mutation, remet en question les appartenances territoriales, ouvre sur la globalisation des marchés et la mondialisation des échanges commerciaux. Invité par Villeneuve en fin de résidence, l’artiste performeur « illusionniste » Daniel Delisle a transformé l’oeuvre en y ajoutant progressivement et de manière aléatoire de petites lumières Del. D’un geste précis, assuré, il illumine les buildings, anime d’une présence les quartiers déserts et fait danser les ombres d’une ville imaginaire. Le spectateur bascule alors d’un univers de plastique aux couleurs éclatantes vers une vision nocturne, intrigante et fascinante de la mégapole agitée.

Audrey Labrie, 2015. Diplômée de la maîtrise en histoire de l’art de l’UQAM et chargée de projet à la coordination artistique de l’Atelier Silex